samedi 28 janvier 2012

Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité Nationale et vision stratégique

Le dernier Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité Nationale (LBDSN)  fut publié en juin 2008. Il faisait suite à celui réalisé sous le gouvernement Edouard Balladur en 1994. Le délai avec la parution d'une nouvelle mouture sera vraisemblablement moins long puisque la réflexion a déjà été initiée comme le souhaitait le président Nicolas Sarkozy. Ce document qui définit la stratégie globale de défense revêt un caractère essentiel pour les armées puisqu'il conditionne (justifie?) la taille et l'équipement de ces dernières. Elles participent d'ailleurs à la réflexion stratégique de manière permanente grâce à la délégation aux affaires stratégiques (DAS) créée au lendemain de la guerre du Golfe et qui mériterait à elle seule un article.

Défilé du 14 juillet - chars Leclerc crédit: defense.gouv.fr
 Alors quels sont les changements qui conduisent à de nouvelles études prospectives sensées nous éviter toute surprise stratégique*? 
Deux ruptures majeures peuvent être constatées depuis 2008:
  • Tout d'abord la situation dans les pays du Sud de la Méditerranée a profondément évolué suite aux différentes révolutions arabes, toujours en cours ou aux conséquences toujours sensibles (révoltes de Touareg au Mali par exemple).
  • Deuxième point et sans doute le plus sensible: la crise et son corollaire un budget anémié. Dans ces conditions comment conserver des ambitions internationales élevées?
Le choix de repenser le LBDSN a été fait peu après la mort de Ben Laden et ce qui pouvait sembler être une rupture ne l'est pas totalement puisque la menace Al Qaida perdure grâce notamment à ses "franchises" telle que Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Tout au plus, le mouvement islamiste devrait il être moins omniprésent dans les problématiques de sécurité internationale.
D'autres tendances géopolitiques sont à prendre en compte dans cette réflexion stratégique comme le fait la DAS en réfléchissant sur les 30 prochaines années:
  • Le déclassement de l'Europe semble inéluctable.
  • Le modèle occidental est en perte de vitesse ce qui nous amène à une forme de transition géopolitique.
  • Les Etats-Unis dominent encore du point de vue militaire mais touchés par la crise également, les économies envisagées (actuellement près de 500 milliards sur 10 ans) risquent de leur faire perdre l'avance de leur défense notamment du point de vue technologique. Cela se traduit d'ores et déjà par des choix quand à leur déploiement: retrait de deux brigades stationnées en Allemagne et bascule de moyens vers l'Asie
  • Conséquence du point précédent, on pourrait assister à l'absence d'hyper puissance susceptible d'accroître l'instabilité et donc de favoriser la "conflictualité".
Les premières implications de ces tendances sont déjà tangibles. En effet, la crise budgétaire incite les Etats-Unis a un engagement moins important comme ce fut le cas en Lybie où ils laissèrent (voire incitèrent) les pays européens à prendre davantage d'initiatives. Dans ce contexte, le sommet de l'OTAN qui doit se tenir à Chicago pourrait être l'occasion de faire évoluer l'Alliance vers un outil plus souple,  plus pragmatique mais surtout dans lequel chacun s'impliquerait financièrement.
Cette problématique financière, l'argent restant le nerf de la guerre, oblige à repenser l'outil de défense si la France souhaite conserver une autonomie capacitaire:
  • Ainsi et paradoxalement, la crise peut offrir une nouvelle opportunité à une Europe de la Défense toujours balbutiante et bien mal en point. Le rapprochement franco-britannique pouvant en être une illustration - même s'il faut davantage y voir la représentation du pragmatisme anglo-saxon.
  • Dans l'idée de baisser les coûts, il semble rationnel de développer le modèle coopératif mis en oeuvre en Lybie avec la participation d'Etats tels que le Qatar. Cela permet bien évidemment le partage des frais mais aussi d'atténuer l'affichage "occidental" de la force.

Mirage 2000 du Qatar, crédit inconnu
  • la réduction des frais passe également par des interventions plus courtes, bornées dans le temps afin d'éviter des missions interminables telles que celles dans les Balkans ou en Afghanistan. Cela permet de limiter l'"empreinte au sol" - poids logistique de l'opération.
  • Enfin, l'externalisation de la sécurité est un tabou français largement dépassé par les anglo- saxons - avec néanmoins les dérives telles que Blackwater - et la France doit se doter d'une doctrine dans le domaine pour autoriser l'émergence d'acteurs nationaux et éviter de dépendre de ces mêmes groupes anglo-saxons. 
Au regard de tous ces éléments, il serait intéressant de pouvoir prédire tel madame Irma quels seront les engagements futurs. Cependant, la Tunisie et la Lybie sont là pour nous rappeler le danger d'un tel exercice. C'est pourquoi, peut on au mieux envisager quelles sont les zones géographiques conflictuelles. En cela, l'actuel LBDSN n'est à mon sens pas encore obsolète:
  • Bien que les changements soient nombreux au Sud de la Méditerranée, l'arc de crise définit en 2008 est toujours d'actualité et il faut sans doute se montrer attentif aux évolutions liées au printemps arabes et ses répercussions dans la périphérie.
  • Bien évidemment, l'environnement de sécurité d'Israël reste prégnant, considérant également que l'Iran fasse partie de cette problématique.
  • La lecture régulière du Courrier des Balkans rappelle la conflictualité potentielle de la région - conflits gelés.
  • L'Afrique dans son ensemble reste également une zone géographique à risque: RDC, Nigeria, etc.
  • Enfin et ça ne faisait pas partie de la précédente édition, l'Arctique devient hautement "crisogènes" car elle concerne les grandes puissances de ce monde - Etats-Unis, Canada, Russie, Union Européenne, Chine -  autour des plus grandes réserves énergétiques du globe et de futures routes commerciales majeures voir mes billets précédents sur le sujet ici, ici et
L'article d'Atlantico écrit par le général (2S) Pinatel met également en exergue une autre zone possible d'action des forces armées: "l'armée française se retirera d'Afghanistan avec une expérience considérable face à la menace que nous allons rencontrer hors de nos frontières et probablement sur notre territoire national dans les années à venir." Bien que l'application de la contre insurrection en France n'est pas à souhaiter, la réflexion du général Pinatel rappelle la nécessité de revoir également l'utilisation de l'outil militaire sur le territoire national notamment au moment où le nombre d'opérations décroît grandement - Côte d'Ivoire, retrait d'Afghanistan fin 2013. La gestion des crises grâce aux moyens militaires est un vrai enjeu qui nécessite d'avoir une réflexion sur la polyvalence des matériels pour qu'ils puissent effectuer des missions de sécurité civile par exemple. Cela aurait le double avantage d'accroître la légitimité du budget de la défense pour les Français et de contribuer au lien armée nation de manière plus tangible. Il convient cependant de réfléchir à la priorité à accorder à l'emploi des moyens militaires et par qui.


Moyens du génie après la tempête Xynthia crédit: vendéeinfos.com


La stratégie française de défense et de sécurité sera donc grandement contrainte par un budget en berne, elle devrait reposer donc sur une posture défensive de réponse aux risques et menaces et non pas sur une volonté d'accroissement d'influence. Les forces armées devront poursuivre cette adaptation à la réaction à minima (justifiant une nouvelle baisse des effectifs?). En cela au moins, le futur LBDSN ne rompra pas avec l'édition actuelle.

 * au sujet de la surprise stratégique lire la série de billets proposée par Olivier Kempf sur EGEA

dimanche 22 janvier 2012

L'invasion de la Syrie est planifiée! (enfin virtuellement)

Les Jeux vidéos ont aujourd'hui une place de choix dans l'espace culturel mondial. Le jeu Call of Duty Modern Warfare 3 est ainsi devenu le produit culturel le plus rentable lors de sa sortie avec près de 9,3 millions d'unités vendues (6 millions avaient été pré-commandées). L'impact est donc grandissant sur la société comme le démontre également les réactions occasionnées par la sortie d'un jeu vietnamien 7554 repéré par Marsattaqueblog sur twitter avant de faire les titres de quotidiens plus huppés. Dans ce jeu, vous faites partie du Viet-minh et le but est d'éliminer un maximum de soldat français. Plutôt surprenant, lorsque depuis des années l'ennemi appartient à l'Axe, est Soviétique voire Vietnamien. Faut-il y voir un nouveau signe d'une "desoccidentalisation" (pas très heureux comme néologisme)? Pourquoi pas mais ce qui est sûr c'est que, pour ce type de jeu de guerre, l'inspiration géopolitique reste primordiale et l'imagination des concepteurs s'avère parfois surprenante, à la limite de la prémonition.


Combat Mission: Shock Force "The Syrian Invasion" en est une démonstration. Paru le 27 juillet 2007, ce jeu de stratégie (combat tactique au tour par tour) met en scène l'invasion de la Syrie par l'armée américaine. L'enjeu diffère quelque peu de la situation actuelle puisque le motif de l'action est de lutter contre le terrorisme, mais la problématique tactique reste identique et le jeu permet d'appréhender une opération moderne en milieu essentiellement désertique et urbain.


A la tête soit de la brigade de l'US Army Stryker, soit d'une brigade du corps expéditionnaire des Marines ou encore d'une task force composée par le Canada, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas vous vous engagez dans un pays disposant d'une armée équipée - certes par de l'armement de l'ère soviétique - et entraînée. Les T-72 et les forces spéciales syriennes posent rapidement des problèmes notamment en zone urbanisée et les casse-têtes tactiques se succèdent les uns aux autres. La capacité des armes utilisées est, semble-t-il, bien restitué ce qui contribue à l'aspect réaliste.

BRDM2-ATGM
 
L'expérimentation de ce jeu permet vite de comprendre la "frilosité" occidentale pour s'engager en Syrie, contrairement à la Libye, du point de vue tactique tout du moins. Deux points développés dans le jeu reflètent également les nouvelles caractéristiques des conflits modernes:
  • Tout d'abord, la présence d'IED (improvised explosive devices) le long des itinéraires est un héritage du conflit irakien. Plus difficile à détecter que le minage traditionnel et d'un coût très faible, c'est une véritable entrave à la liberté de mouvement. 
  • L'autre point c'est la prise en compte d'une task force multinationale pour cette opération d'invasion. En effet, et même si la coalition est à forte coloration américaine, le jeu pointe du doigt l'incapacité pour quelque nation que ce soit d'agir seule dans un conflit de ce type.

Carte livrée avec le jeu: Yapluka!

Précis, doté d'une intelligence artificielle de bonne qualité, Combat Mission: Shock Force pourrait être un bon outil de préparation intellectuelle pour tout état-major. Cette plateforme pourrait permettre, de manière ludique, la confrontation des choix tactiques pour en vérifier la faisabilité à l'instar de la phase de "wargaming" dans la conception des ordres. Néanmoins, comme le rappelle le colonel Goya sur son blog, il est nécessaire que les mentalités évoluent pour considérer un tel outil comme utile.

Le site officiel du jeu:
http://www.battlefront.com/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=31&Itemid=80;

mercredi 18 janvier 2012

les livres de Patton

La culture générale est une qualité qu'il convient de développer constamment pour tout officier. L'armée américaine se montre particulièrement consciente de cette nécessité et cela au plus haut sommet de la hiérarchie puisque l'ancien chef d'état-major de l'US Army, le général Dempsey, donnait sa propre liste d'ouvrages qu'il conseillait à la lecture de son personnel. Son successeur, le général Odierno, reprend le flambeau en sollicitant l'avis de tous pour établir sa liste.


Ces conseils littéraires prennent encore plus de valeur lorsqu'ils proviennent d'un homme qui a fait ses preuves sur les champs de bataille au point d'être considéré par une grande part de ses compatriotes comme l'un des plus grands chefs militaires de l'histoire. Le général George S. Patton Jr collectionnait les livres avec passion et s'il en lisait pour le plaisir, la plupart l'aidèrent à étudier l'histoire militaire. 7 ans après sa mort, son épouse avait compilé une liste de ses livres favoris pour le magazine Armor magazine. Celle-ci incluait les livres suivants:
  • Maximes de Frédéric le Grand
  • Maximes de Napoléon et toutes les biographies militaires sur Napoléon
  • Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César
  • Les traités de von Treitschke et Von Clausewitz
  • Les mémoires du Général Baron de Marbot (colonel sous l'Empire)
  • Charles XII de Suède par Carl Gustafson Klingspor
  • The History of the Decline and Fall of the Roman Empire par E. Gibbon
  • Strategicon par Marcus et Spaulding
  • Le Prince de Machiavel
  • La psychologie des foules de Gustave Le Bon
  • Art of the War in the Middle Ages, Oman
  • The Influence of Sea Power Upon History, Amiral Mahan
  • Stonewall Jackson, Henderson
  • Memoirs of U.S. Grant
  • Battles and Leaders of the Civil War, R.E. Lee and  Lee's Lieutenants, Freeman
  • Years of Victory and Years of Endurance, Bryant
  • Gallipoli, Hamilton
  • Thucydides Histoire Militaire de la Grèce
  • Mémoires de Ludendorff, Von Hindenburg et Foch
  • Gengis Kahn, Alexander, Lamb
  • Alexander, Weigall
  • The Home Book of Verse
  • tous les écrits de Winston Churchill
  • toutes les oeuvres de Kipling
  • tous les écrits de Liddell Hart
  • tous les écrits de J.F.C. Fuller et plus spécialement Generals, Their Diseases and Cures
Durant la Seconde Guerre Mondiale, Patton a également lu des livres traitants des zones dans lesquelles il devait combattre par la suite ou encore d'auteurs dont il respectait les connaissances tactiques:
  • The Normans in Sicily, Knight
  • The Greatest Norman Conquest, Osborne
  • The History of the Norman Conquest of England, 5 volumes Freeman
  • Infantry Attacks, Rommel
Les esprits chagrins pourront noter que les moyens de faire la guerre ont bien changé depuis les exploits du général Patton mais comme ce dernier le disait luit même expliquant ainsi l'intérêt de la culture générale: "What you must know is how man reacts. Weapons change, but man who uses them changes not at all. To win battles you do not beat weapons, you beat the soul of the ennemy"

Source: Armchair General magazine march 2004